Lorsqu’on m’a demandé il y a quelque temps d’envisager de présenter une planche sur la Maçonnerie de la Marque, mon esprit a immédiatement parcouru les divers sujets disponibles, ce qui m’a amené à examiner les sujets de discussion les plus évidents, l’architecture ou l’archéologie et son lien évident avec le Maître Maçon de la Marque. Quelle est en effet la fonction de ce grade? Il semble que personne ne connaissent vraiment l’origine du grade, ce qui n’est guère une surprise pour qui s’intéresse à l’histoire de la franc-maçonnerie.
Si la maçonnerie de métier, la craft comme la nomme nos amis britanniques, a fait l’objet de nombreuses études et controverses notamment à travers la loges de recherches Quatuor Coronati je n’ai relevé ces trente dernières années qu’une dizaine d’articles traitant exclusivement de la maçonnerie de la Marque dans les AQC.
Vous êtes, j’en suis sûr, conscient qu’il existe un certain nombre d’idées différentes sur les origines de la franc-maçonnerie, relevant d’écoles telles que l’Ecole Authentique, l’Ecole Anthropologique, l’Ecole Mystique et l’Ecole Occulte. De nombreux chercheurs modernes sont influencés par plus d’une de ces écoles de pensée, ce qui obscurcit encore la question.
Signer une sculpture, une pierre à l’aide d’une marque qui soit propre à l’ouvrier est courant depuis l’Antiquité. L’existence de Marques sur des monuments anciens ne doit cependant pas nous amener à penser qu’une maçonnerie de Marque aurait pu exister avant celle du métier. En revanche, on peut penser qu’une maçonnerie de Marque, intégrée à une maçonnerie de métier dès l’origine, est une hypothèse plausible.
La Grande Loge Unie d’Angleterre, suivie par beaucoup d’historiens anglais, a beaucoup de difficultés à admettre qu’une grande partie de l’histoire maçonnique britannique ancienne a des liens avec l’Ecosse et des racines au nord de l’Angleterre.
De même, certains historiens admettront à peine que la maçonnerie spéculative n’existait pas du tout avant son introduction en Angleterre, sans parler de la Marque, un sujet chaudement débattu de temps à autre au sein de la loge Quatuor Coronati. Il y a cependant en la possession de la Grande Loge Provinciale de Durham, un document contenant une copie du Livre des Constitutions de 1723, ainsi que les documents suivants : “…regulations or certain By laws strictly to be observed by the Brethren of this Lodge”. Sur la première page nous avons “Robert Salmon his book June 1759 Gateshead”. Les règlements ont été signés par Salmon en tant que Vénérable Maître, le livre étant passé de maître à maître au fil des ans. La dernière page est intitulée Newcastle January 1756, et se lit comme suit : “There being met part of the body of the Lodge they taking in their serious consideration that no member of the saide (sic) lodge shall be made a Mark Mason without paying the fee of one Scots mark that for the propigation (sic) of the pedestal as witnessed the aforesaid date by John Maxwell Master.”
On a beaucoup insisté sur les mots « shall be made a Mark Mason« , affirmant qu’ils pointent vers une procédure cérémonielle définie, et non seulement à la mention habituelle d’un frère recevant sa marque, ce qui implique que le frère en question a payé sa cotisation et a reçu sa marque comme il était courant à cette époque à dans les loges.
Pour repousser les limites un peu plus loin dans le temps, il est intéressant d’apprendre que trois vieilles chaises conservées à Berwick, propriété de Northumberland et de Berwick Lodge, Loge de temps immémoriel, dont l’une est datée de 1641 et porte une hache gravée sur elle. S’agit-il d’une coïncidence ou était-ce celle du second Surveillant, ce qui suggère que le grade de la Marque y a été travaillé dès 1641. Vous vous souvenez peut-être que le premier « maçon » enregistré en Angleterre fut Elias Ashmole. Selon son journal, il a été initié dans une loge à Warrington, Lancashire, le 16 Octobre 1646 au cours de la guerre civile anglaise, soit quelque 5 ans plus tard que la plus vieille chaise dont nous avons parlé plus haut. Or la signature d’Ashmole s’accompagne d’une Marque bien particulière, un pentagramme, dont chaque sommet porte une lettre formant le mot agapè.
Si nous voulons vraiment repousser les limites de l’écrit, nous pouvons nous tourner vers l’Écosse et regarder le livre des procès-verbaux de la Loge d’Édimbourg où il est enregistré, lors de la dernière réunion de 1599 les noms de frères ajoutant leurs marques après leur nom. D’autres croient que dès 1550 l’organisation du « Mot de Maçon » était bien établie en Ecosse. Ils admettent cependant que l’on ne sait pas si la communication du « Mot » a été accompagnée de l’effusion d’une marque.
Aussi intéressant que cela puisse être, d’un point de vue purement historique, ces éléments n’ont que peu ou pas de rapport avec l’actuel rituel pratiqué. D’après de nombreuses sources, nous savons qu’une certaine forme de rituel de Marque a été travaillée, lorsque nous trouvons dans les révélations de 1723 intitulées “The Mason’s Examination”, ce que dit le Maître de de la loge au maçon nouvellement entré :
“If a Master you would be
Observe you well the rule of Three
And what you want in Masonry
The Mark and Maughbin set you free”
Avant l’union des deux Grandes Loges en 1813, la Marque était un grade très populaire tant à Londres que dans les provinces au sein de la maçonnerie de métiers et des Chapitres de l’Arche Royale sous les auspices des Anciens, qui ont généralement encouragé le fonctionnement de ce que l’on appelle communément les « side degrees ». C’est d’ailleurs l’un des nombreux points de différence entre les “Moderns” et les “Antients”.
Ayant mentionné l’Arche Royale, cela nous rappelle que les deuxièmes plus anciens documents écrits en Angleterre proviennent d’une source de l’Arche Royale. Il est généralement admis que l’Arche Royale est apparue 15 à 20 ans avant 1769, l’année où le Grand Chapitre moderne a accordé ses premières reconnaissance. Là encore, il y a controverse, car beaucoup pensent que l’Arche Royale est apparue en Irlande de nombreuses années auparavant, ou,pour d’autres Parmi les premiers chapitres créés celui de “l’amitié de Portsmouth”, aujourd’hui n° 257, en date du 11 août 1769. La référence à la Marque suivit peu après pour le 1er septembre 1769 le procès-verbal enregistré : “At a Royal Arch Chapter held at the George tavern in Portsmouth on 1 September 1769 … Present Thomas Dunckerley Esq, William Cook Z, Samuel Palmer H, Thomas Scanville J. … the Provincial G Master Thomas Dunckerley brought the warrant of the Chapter, and having lately received the Mark, he made the brethren Mark Masons and Mark Masters, …. He also told us the manner of writing to be used in the degree which we may give to others so they be Fellow Craft for Mark Mason and Mark Master for Master Mason.”
La minute ci-dessus révèle un certain nombre de points importants :
- Dunckerley avait « récemment reçu la Marque » ; il s’ensuit donc que le diplôme doit avoir existé avant cette date.
- Il a dû être assez impressionné par le travail qu’il a fait pour l’introduire à la première occasion, en remettant le mandat au nouveau chapitre.
- À cette époque, le diplôme se composait de deux parties : Maçon de Marque pour le Compagnon et Maître Maçon de la Marque pour le maître maçon.
- « manner of writing » se réfère très probablement au chiffre maçonnique dans lequel le procès-verbal, ou des parties de celui-ci, ont été écrites.
Bien que peu de temps après l’Union, en 1817, le grade de La Marque ne devait plus être travaillé dans les Chapitres de l’Arche Royale, nous trouvons la dernière référence d’un Chapitre travaillant à La Marque à Portsmouth en février 1844, et il est connu qu’il y avait encore quelques compagnons avancés après cette date.
Bien que ce qui précède est d’un grand intérêt, il ne nous dit pas où et quand la première loge consacrée uniquement à travailler le grade de la Marque a été fondée. Grantham dans son Histoire de la Grande Loge Des Maîtres Maçons de la Marque cite les loges suivantes, qui ont travaillé le grade :
- Dumfries 1770.
- Marquis of Granby Durham 1773
- St. Thomas’ London 1777
- St John’s Operative Banff 1778
- Lodge of Hope Bradford, avant 1794.
Bien que nous vivons dans l’espoir qu’une nouvelle percée se produira, il est extrêmement douteux que des renseignements précis soient produits pour éclairer la période antérieure à 1756. Toutefois, il ne fait aucun doute que la Maçonnerie de Marque a été en bonne santé pendant au moins soixante-dix ans avant l’Union en 1813.
Cependant, avec l’Union du 27 décembre 1813, les problèmes de la Marque vont commencer, bien qu’il n’en ait pas été question à première vue. Vous vous souvenez que l’article II de l’Union dispose que : “Pure and Ancient Masonry consists of three degrees and no more, including the Entered Apprentice, Fellow Craft and Master Mason including the Supreme Order of the Holy Royal Arch. But this Article is not intended to prevent any lodge or chapter from holding a meeting in any of the degrees of the Orders of Chivalry, according to the constitutions of the said Orders”.
Le problème est vraiment devenu évident quand, en 1817, l’Arche Royale est devenue une entité distincte avec son propre organe directeur. À la fin de l’année, les deux organismes, la maçonnerie de métier et le Royal Arch avait abandonné la seconde moitié de l’article II et insisté sur le fait que seuls les trois degrés du métier et le Royal Arch constituaient une véritable franc-maçonnerie, une position encore consacrée à ce jour.
Face à cet ultimatum, La Marque était confrontée à la perspective d’un abandon ou à celle d’une organisation propre, ce qui s’est précisément produit. Partout en Angleterre et au Pays de Galles des loges de la Marque ont été formées, et pour échapper aux problèmes de la Loi sur les sociétés secrètes, toujours en vigueur, à se placer sous l’égide d’une loge régulière, bien que très irrégulière et aux yeux de beaucoup, illégale. Comme l’a dit un historien : « les années 1817 à 1850 peuvent à juste titre être qualifiées d’ère sombre dans l’histoire de la Marque ».
Vers le milieu du 19ème siècle, il était de plus en plus évident que si rien de drastique n’était fait, la maçonnerie de la Marque allait disparaître. C’est le Dr William Jones qui en fondant la Loge “Le Bon Accord” à Aberdeen a permis avec le soutien du Dr Robert Beveridge, la signature d’un acte de reconnaissance le 17 septembre 1851 et la première réunion de la Loge “Le Bon Accord” à Londres a eu lieu le 19 septembre 1851, où 6 frères furent immédiatement avancés. Comme on peut l’imaginer, la loge fut un succès immédiat et, en 1855, elle comptait environ 120 membres, dont certains de très haut rang maçonnique et social.
Cependant, le succès a apporté ses propres problèmes lorsque le Supreme Grand Chapitre d’Ecosse est intervenu en 1855 et a exigé que le mandat lui soit rendu et a fustigé le chapitre de Bon Accord à Aberdeen pour avoir agi illégalement. Le chapitre a refusé de se conformer et a insisté sur le fait qu’il avait agi dans le cadre de la loi. Le Chapitre “Le Bon Accord” d’Aberdeen a été suspendu et ne s’est plus jamais réuni après mars 1856.
Comme on peut l’imaginer, les membres de la loge fille de Londres ont dû se sentir résolument embarrassés et probablement fâchés par ce résultat, en particulier comme mentionné précédemment, beaucoup d’entre eux étaient des personnes d’une certaine importance tant dans la franc-maçonnerie que dans la vie publique. Être accusé de pratiquer une maçonnerie illégale, irrégulière et fallacieuse ne doit pas être pris à la légère. Une tentative a été faite pour que la Grande Loge Unie d’Anglettere et le Chapitre de l’Arche Royale reconnaissent le Grade de la Marque et finalement un comité mixte a été nommé pour faire un rapport sur le statut de la Marque. Le rapport fut soumis au Grand Chapitre le 1er février 1856, lequel passa le flambeau à la Grande Loge qui, le 5 mars, recommanda que le grade de la Mdarque soit ajouté aux degrés de la maçonnerie de métier. Tandis que cette reconnaissance de la validité du grade était de nature à satisfaire de nombreux frères, beaucoup de frères de la Marque exprimaient maintenant la crainte que le grade soit dilué dans deux du métier. Cependant, le 4 juin, la réunion trimestrielle des communications du Board a décidé que cette intégration n’était pas acceptable, et ainsi, la Maçonnerie de la Marque comme la pierre, a finalement été rejetée.
Toutefois, les choses avançaient à une certaine vitesse, car le jour même où la Grande Loge Unie d’Angleterre rejetait la Marque, un certain nombre de maçons londoniens ont demandé au Grand Chapitre d’Ecosse un mandat pour ouvrir une autre loge à Londres, mais celle-ci devait être directement sous la responsabilité du Grand Chapitre d’Ecosse. L’Écosse accepta et une charte fut émise le 18 juin 1856. Cette intrusion, ou rivalité amicale comme on l’appelle parfois par euphémisme, ne devait pas être acceptée par les membres anglais sans lutte et sans doute avec une connaissance préalable de l’événement, le Secrétaire de la loge londonienne “Le Bon Accord”, le 14 juin a envoyé une circulaire à tous les membres pour assister à une Assemblée extraordinaire qui se tiendra le 23 juin : “to take into consideration the propriety of adopting the recommendation of the Permanent Committee. “… that a Grand Mark Master Masons Lodge for England and it’s Dependencies be forthwith established”.
La réunion extraordinaire a eu lieu le 23, où il a été convenu qu’une Grande Loge serait formée. La Loge fut alors dûment ouverte et le Très Honorable Lord Leigh fut élu Grand Maître pour l’année suivante.
En conclusion, permettez-moi simplement d’ajouter que tout ne s’est pas fait dans l’harmonie et la douceur de vivre car beaucoup s’opposaient à cette prise à cette initiative de l’Ecosse en terre anglaise. Pendant des mois les lettres à la presse populaire et la presse maçonnique n’ont guère contribué à améliorer la réputation de la franc-maçonnerie. Handfield Jones dans son History of Grand Lodge of Mark Master Masons déclare : “this episode sheds a powerful spotlight on the character, customs and behaviour of the Mid Victorian male and illustrates how thin was the cultural veneer of the average Freemason of 1856”.